La femme trouvera de l’inconnu : A propos de « Ceux qui attirent » de Claire DeLille (Par Jean Zagan
La série de nouvelles « Ceux qui attirent »(éditions Artalys) raconte l’histoire d’une quête. La quête d’une femme à la recherche de désirs insoupçonnés, de plaisirs inconnus, de jouissances voluptueuses. Cette quête est symbiotiquement liée à une recherche identitaire. Qui est-elle ? De quoi peut-être capable ? Qu’est-ce que peut son corps lorsqu’il est pris dans un agencement de désir, dans une envie d’assouvir ses fantasmes ? C’est de cela qu’il est question dans les jolis textes de Claire DeLille. La première nouvelle, « Escapade souterraine », commence comme une chanson d’Alain Bashung. Anelyse ment. La nuit, elle prend des trains. Elle va à la gare du Nord pour rejoindre son amant, Réno. Il est comme son révélateur. Celui qui l’aide à donner un certain embellissement à sa vie : « Il avait été son révélateur. Et elle ne pouvait, ne voulait, lui résister. Qu’il l’appelle et elle oubliait tout : morale, mari et enfants. Et qu’on ne la juge pas ! Elle n’avait que faire des bien-pensants et de leurs leçons de morale. Le désir qu’il éveillait en elle balayait tout». L’amant est le pourvoyeur du plaisir sexuel et l’être providentiel capable de donner de la saveur à sa vie. Alors qu’elle s’attendait à le retrouver à la gare du Nord, celui-ci annule à la dernière minute et Anelyse est obligée de passer une nuit blanche à errer dans Paris en attendant le train du matin. Elle va rencontrer Caïn qui l’amène dans un univers souterrain où vivent « Ceux qui attirent ». Elle sait qu’elle n’a pas été « sensée » lorsqu’elle l’a suivi mais l’appel de ses sens a été plus fort que sa raison. Elle aime explorer, expérimenter…Elle découvre un monde inconnu, peuplés d’êtres fantastiques qui se nourrissent du plaisir ressenti par les partenaires multiples avec qui ils font l’amour. En puisant quelques souffles de vie dans le corps des êtres jouissants, ils peuvent vivre éternellement. Faire l’amour est pour eux la seule façon de survire. La force libidineuse de Caïn va attirer Anelyse qui finit par se donner à lui et se rend compte qu’elle est elle-même une succube. A partir de là, elle va s’interroger sur son passé, ses géniteurs mais aussi sur son avenir. Le soir où ils ont fait l’amour, Caïn a déclenché quelque chose en elle. Anelyse est « perdue entre sa volonté de reprendre le contrôle de son corps et l’envie de se laisser aller à l’extase ». Elle est tiraillée entre le souci d’être conforme, de s’insérer dans cette société en respectant les codes et de découvrir l’inconnu, aller à l’aventure, jouir violement à partir d’un dérèglement intense de tous les sens, à l’image de ces femmes dont parle Rimbaud dans « La lettre du voyant ». Toutes les nouvelles sont marquées par cette perte de contrôle progressive. En découvrant qu’elle est une succube, une nouvelle vie s’offre à elle et lui faire prendre conscience de sa vraie nature. La recherche de plaisirs inédits, allant de l’exhibitionnisme au bondage sans sacrifier l’amour intense qu’elle ressent pour Réno, sera désormais la route suivie par Anelyse. Cela ne l’empêche pas d’être amoureuse de plusieurs hommes et d’assumer pleinement l’immanence de son désir. Les plans Q ont quelque chose de salutaire et même de très sentimental sous la plume de Claire DeLille. Dans « Ceux qui attirent », elle dresse le portrait d’une femme forte, qui sait s’imposer face à la domination masculine et remettre les hommes à leur place. Les scènes où elle réduit le sexe de Christophe à néant, alors qu’il essaie de la violer, ou bien lorsqu’elle dit à Stevan «Je jouis quand je veux» alors qu’il lui ordonne d’avoir un orgasme pendant leur intense ébat, montrent la force de son caractère. Anelyse sait combiner son âme romantique avec l’affirmation de son désir. Et la perte de contrôle qui anime ses sens s’avérera des plus salutaires…
Jean Zaganiaris